Programmes ANR en cours
ELIPS - Equality and Law in Personal Status
ANR ELIPS (Equality and Law in Personal Status)

Commencé au 1er janvier 2021

Porté par Baudouin Dupret, directeur de recherche CNRS à LAM, Jean-Louis Halpérin, professeur à l’Ecole normale supérieure et directeur du Centre de Théorie et Analyse du Droit (CTAD-UMR 7074) et Nathalie Bernard-Maugiron, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD –CEPED).

Ce projet étudie l’évolution des systèmes juridiques reconnaissant une variété de lois sur le statut personnel pour leurs citoyens et les tensions qu’impliquent ces diverses lois de la famille par rapport au principe d’égalité. Plus de deux dizaines de pays d’Asie et d’Afrique sont caractérisés par une multiplicité de lois sur le statut personnel, les plus connus étant le Liban, Israël, l’Inde, le Sénégal et le Cameroun. Dans ces pays, les règles relatives au mariage, à l’affiliation et aux droits de succession ne sont pas unifiées, mais appliquées de manière diversifiée aux citoyens selon leur appartenance religieuse officielle. Par exemple, au Liban, 18 religieux communautés (12 chrétiennes, 5 musulmanes, 1 juive) sont reconnues et chacune d’elles a son statut personnel et ses juges confessionnels. En Israël, 14 communautés religieuses (juive, musulmane, druze, 10 Les communautés chrétiennes, baha’i) sont reconnues et la plupart d’entre elles ont des tribunaux religieux. En Inde, cinq lois sur le statut personnel existent pour les hindous, les musulmans, les chrétiens, les parsis et les juifs.

Nos premiers résultats montrent qu’après une longue période (à partir de l’époque coloniale) caractérisée par le refus de toute opposition entre le principe d’égalité (tel qu’il est établi en droit positif) et la pluralité de lois familiales, de plus en plus de conflits éclatent aujourd’hui dans plusieurs de ces pays asiatiques et africains (au niveau de l’élaboration et de l’application de la loi) quant à leur compatibilité.
Nos hypothèses concernent :
1) les différents facteurs déclenchant ces tensions, comme les innovations juridiques promues par l’activisme judiciaire ou des situations politiques caractérisées par des affrontements entre un mouvement nationaliste favorisant le statut personnel dominant, et la «résistance» de la minorité «dominée»;
2) la portée des changements dans la manière dont les lois sur le statut personnel sont conçues et appliquées par les juges, les avocats et les non-avocats. Afin d’étudier ce problème, nous avons identifié six pays (Cameroun, Égypte, Inde, Indonésie, Liban et Tanzanie) où des arrêts récents montrent le développement de nouvelles tensions entre lois sur le statut personnel et principe d’égalité.
Les objectifs de la recherche sont :
1) d’analyser tous les aspects juridiques et les antécédents sociopolitiques de ces affaires et les décisions relatives;
2) d’identifier les relations entre ces cas et les mobilisations contre ou en faveur d’une diversité du droit du statut personnel;
3) de comparer la situation entre pays dans lesquels la reconnaissance d’une pluralité des lois sur le statut personnel est conflictuelle, avec d’autres pays dans lesquels elle ne l’est pas.

EXPERTS - Pratiques des savoirs entre jugement et innovation. Experts, expertises du bâtiment, Paris 1690-1790
ANR EXPERTS (Pratiques des savoirs entre jugement et innovation. Experts, expertises du bâtiment, Paris 1690-1790)

Commencé au 1er janvier 2017

Porté par Robert Carvais, directeur de recherche émérite au CTAD avec comme partenIDHES- (Cachan Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société), le CRIHN (Centre de Recherche Interuniversitaire sur les Humanités Numériques) et l’IHMC (Institut d’histoire moderne et contemporaine)

Notre projet vise à examiner, à partir d’un secteur économique majeur – celui du bâtiment à l’époque moderne -, le mécanisme de l’expertise : comment la langue technique régulatrice des experts s’impose à la société, comment leur compétence se convertit en autorité, voire parfois en « abus d’autorité » ? L’existence d’un fonds d’archives exceptionnel (AN Z1J) qui conserve l’ensemble des procès-verbaux d’expertise du bâtiment parisien de 1643 à 1792 nous permet de lancer une enquête pluridisciplinaire d’envergure sur la question de l’expertise qui connaît, à partir de 1690, un tournant particulier. En effet, les experts, autrefois uniquement gens de métiers, se divisent en deux branches exerçant deux activités concurrentes, parfois complémentaires : l’architecture et l’entreprise de construction.

La base de notre travail consistera d’abord à établir parallèlement deux corpus : d’une part, un dictionnaire prosopographique des 234 experts exerçant de 1690 à 1790 ; d’autre part, l’inventaire et l’analyse des procès-verbaux d’expertise sur la même période. Au regard de l’immensité du fond, nous travaillerons sur un groupe de près de 10000 expertises par le biais d’un sondage au 1/10e sur les dix années de 1696 à 1786, espacées chacune de 10 ans. Chaque expertise sera inventoriée, indexée, numérisée et analysée dans le détail. L’ensemble fera l’objet d’une étude sérielle sur le siècle parcouru, mais surtout d’un travail approfondi sur son contenu. Deux questions seront résolues : 1° Comment la décision de l’expert se prend-elle ? Quels savoirs y sont convoqués ? 2° Comment ces experts parviennent à innover dans domaine de leur compétence ? Le projet correspond au moins à trois enjeux contemporains.
Le premier concerne le rapport au risque et à l’innovation sociale. Comment affronter des situations à risque permet d’innover techniquement, voire socialement ? La confrontation à des incertitudes ouvre des possibilités de résoudre des conflits entre des communautés opposées. Tenant compte de la partition des fonctions d’experts, la mission d’expertise se différencie-t-elle selon la qualité de son auteur ? Les experts en viennent, souvent grâce à l’expertise, à innover dans le champ d’activité qui est le leur. Ainsi, pourquoi l’expertise induit-elle l’innovation ?

Le second concerne la part du droit dans la prise de décision démocratique. Comment le droit peut-il servir entre les mains de non-juristes ? La diffusion des principes du droit dans la vie citoyenne permet un usage de ces derniers dans la vie publique mais également dans des domaines de la vie privée. Dans le cadre de notre projet, comment et pourquoi des experts, non juristes mais au fait du droit, argumenteront en droit et persuaderont le juge de leur position ?
Le troisième concerne la régulation des valeurs de biens. Quels critères faut-il mettre en avant pour échafauder une hiérarchie des choses ? Une stricte normalisation objective de ces critères peut ne pas apparaître souhaitable face aux lois du marché qui par leur rigueur nécessiteraient un contrebalancement de règles subjectivées. Précisément, comment les experts du bâtiment ont-ils mis en place les critères objectifs et subjectifs d’estimation de la valeur des biens immobiliers ?

Rejoignant l’idée d’« abus d’autorité » de l’expert, le fait que plusieurs types de savoirs, et plusieurs groupes sociaux, partagent l’expertise, diminuerait-il le risque d’abus d’autorité et au-delà le risque technique en général ?
Les résultats de cette recherche seront présentés dans une base de connaissances collaborative accueillie sur un site dédié sur lequel l’ensemble des corpus seront accessibles à la communauté des chercheurs. L’analyse d’exempla fera l’objet d’une éditorialisation particulière sous forme d’exposition virtuelle pour le grand public. La synthèse de nos résultats sera consignée dans un ouvrage et deux rencontres nationale et internationale viendront clore le projet.

CRISP - Addressing the Challenge of Research Integrity in Scientific Practices

https://www.crisp.ens.psl.eu/

Project led by S. Ruphy, A. Barberousse, C. Imbert, O. Leclerc, J. Michalon

Academic research is undergoing important institutional transformations, partly triggered by media scandals— some mention “science crisis” and emphasize the need to preserve public trust in science. From 1990 onward, institutional transformations targeting questions of research integrity (RI) have resulted in diverse organisations at all geographical scales (Office of Research Integrity in the USA, British Concordat, Finnish National Board on Research Integrity, Office français d’intégrité scientifique, etc) and functions (Research Integrity Officers (RIO) of various sorts). An increasing number of soft law documents have appeared (e.g. “Corvol report”; European code of conduct; ENRIO documents; Singapour declaration). Some of these recommendations conflict with values that lie at the heart of research activity, like academic freedom. Links are commonly made between scientific misconducts and various features of contemporary research, like increased competition, “Publish or Perish”, evaluation, financing, etc, but they are seldom questioned from a scientific research point of view (Hiney 2015). In other words, RI policies are not sufficiently research-based and, consequently, the motivations that are put forward in favor of institutional transformations are not as sound as they should be. In order to fill this gap, it is therefore urgently needed to have a reflexive look at the field of research integrity along the following line, coupled with major practical challenges: Will institutional actions in favor of research integrity yield hoped-for results in terms of improvement of research practices.

Our main hypothesis is that in order to produce the expected positive effects, RI policies should be more sensitive to the actual structure and dynamics of the sciences, academic disciplines, as well as to the nature of ordinary research practices, in all their diversity. The main objective of this project is thus to explore the conditions at which institutional action and discourse on research integrity can improve research practices, to anticipate their impact on ordinary research practices and organization of research, and to propose recommendations. We have therefore delimited three complementary fields of inquiry, corresponding to the three tasks below, sharing the same practical end: improving the efficiency of institutional action in favour of research integrity.

https://www.crisp.ens.psl.eu/

Programmes Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) en cours
À dires et traits d’experts. Analyse du langage des procès-verbaux d’expertise du bâtiment du XVIIIe siècle : mots, discours et figures

Les archives des Greffiers des bâtiments constituent une source sans équivalent pour documenter le discours des experts dans le domaine du bâtiment sous l’Ancien Régime. Cette recherche se propose de s’intéresser à la matière même du texte des procès-verbaux d’experts en profitant de l’opportunité de disposer d’un corpus numérisé et finement indexé au terme d’une recherche financée par l’ANR pour analyser le discours de l’expertise à travers une investigation qui se déploie selon trois grands axes : le vocabulaire des locuteurs (experts principalement, mais aussi parties, voisins, etc.), les discours des experts et le recours au dessin.

À partir d’une collection homogène d’affaires, le projet propose de croiser une lecture rapprochée et une fine analyse du discours d’un corpus primaire de 100 procès-verbaux avec la mobilisation de lecture distante de type textométrique et logométrique et de tirer parti des progrès considérables réalisés dans le domaine de la reconnaissance des écritures manuscrites pour étendre le corpus d’analyse à un plus grand nombre d’affaires.

 

Chaire France-Québec de recherche sur les enjeux contemporains de la liberté d'expression (LIBEX)
Axe 1 - Liberté d’expression, démocratie et droits humains fondamentaux : quelle régulation ?

La définition, les usages et les limites de la liberté d’expression dans les sociétés occidentales et partout dans le monde font de longue date l’objet de réflexions philosophiques, juridiques ou politiques. Alors qu’aujourd’hui, l’héritage des Lumières est contesté, il est essentiel de comprendre pourquoi, à quelles fins, dans quels contextes la liberté d’expression a été envisagée comme un idéal pour la connaissance et un principe politique. Il est non moins indispensable de comprendre comment elle a été régulée par les différents régimes politiques qui l’ont reconnue afin d’éclairer les cadres normatifs et les pratiques à l’ère contemporaine, ainsi que les nouveaux défis qui se posent dans divers domaines : sciences, religions, arts, mais aussi sur les nouveaux canaux de diffusion qui se développent sur Internet.

Organisée en réseaux transnationaux, la chaire se déploiera autour de quatre axes : un, plus général, abordera la question de la régulation de la liberté d’expression en rapport avec les droits humains fondamentaux et la démocratie ; les trois autres traiteront plus spécifiquement de ses rapports avec la religion, la science et l’art.

Thomas Hochmann (CTAD, Université Paris Nanterre) et Pierre Rainville (Faculté de droit de l’Université Laval) sont co-responsables de l’axe 1 : 

Axe 1 – Liberté d’expression, démocratie et droits humains fondamentaux : quelle régulation ?

La liberté d’expression, ses conditions, ses formes, les atteintes qui lui sont portées sont un objet essentiel des travaux de recherche sur les démocraties et les régimes autoritaires, tant sur le plan des principes juridiques et politiques (notamment la liberté de pensée et la libre circulation de l’information), qu’au point de vue socio-historique. S’intéresser à la liberté d’expression mène en effet nécessairement à soulever les questions de ses limites et de la manière dont on les légitime. La liberté d’expression se pose ici comme objet politico-juridique, puisqu’elle se présente à la fois comme norme sociale et comme objet du droit — deux dynamiques qui entrent souvent en collision (notamment sur les réseaux sociaux) et obligent à penser le rapport entre le droit et d’autres formes de régulation. 

Ainsi arrimée aux systèmes juridiques et aux formes de gouvernement, la liberté d’expression est abordée à travers des approches centrées sur tel ou tel contexte national ou régional (européen, nord-américain) ou encore de façon comparative. Son étude croise d’autres enjeux, tels que ceux des discriminations (d’individus, de groupes) et des conflits mémoriels ou encore de la justice. Fortement réduite en régime autoritaire, qui n’autorise pas la manifestation publique d’opinions contraires à la politique officielle, la liberté d’expression est également bornée, en régime démocratique, par la provocation au crime ou au délit et par l’impact que certains propos et images peuvent produire sur les droits de tiers individus (diffamation), groupes (racisme, antisémitisme, sexisme) ou représentants officiels de l’État, notamment. Le problème de la régulation, par exemple face aux discours de haine ou aux fausses nouvelles, se pose plus encore sur Internet qui échappe largement aux cadres juridiques existants ; ici l’espace des possibles oscille d’une part entre la censure et le contrôle tels que pratiqués actuellement par les autorités chinoises, et d’autre part la liberté absolue préconisée par exemple par Elon Musk, désormais propriétaire de Twitter. L’un des grands enjeux est la nature hybride des réseaux sociaux, partie au débat public mais contrôlés par des intérêts privés qui décident notamment de ces algorithmes qui orientent les ‘conversations’. 

De plus, des voix se lèvent, à l’extrême droite notamment, contre les restrictions qui visent à protéger les groupes et individus en situation de vulnérabilité face au pouvoir de la parole ou de l’image ; cela se fait parfois paradoxalement par une rhétorique qui retourne la liberté d’expression contre les individus en situation de vulnérabilité ou de discrimination.

Enfin, l’état d’urgence a restreint certaines libertés publiques et individuelles, notamment avec les mesures antiterroristes qui touchent aussi à la liberté d’expression.

Toutes les infos sur la Chaire sur https://libexpress.hypotheses.org/ 

 

International Research Network PHEDRA
Pour une Histoire Européenne du DRoit des Affaires

Pour une Histoire Européenne du DRoit des Affaires

Financé par le CNRS et porté par Luisa Brunori du CTAD-Centre de Théorie et Analyse du Droit, le projet, implique neuf équipes basées en Allemagne, France, Espagne, Hollande, Italie, Maroc, et Royaume-Uni ainsi que nombreux chercheurs basés dans différents pays européens.

Le projet IRN PHEDRA vise à  développer une approche concertée de la recherche européenne sur l’histoire droit des affaires, de l’Antiquité à nos jours, appréhendée dans son « écosystème Europe ». Cette thématique demeure peu explorée par l’historiographie qui souligne pourtant à quel point les normes et les pratiques commerciales constituent un élément fondamental pour l’étude des enjeux liés à la transformation historique de nos sociétés.

Pour répondre à ces objectifs, le projet – dépassant les approches nationales traditionnelles – mobilise plusieurs équipes européennes autour d’une réflexion collective visant à dégager les traits européens de l’évolution du droit des affaires, à travers une mise en commun de savoirs, d’expertises et de sources permettant une discussion commune.

Le choix des partenaires suit une logique de complémentarité forte : chaque équipe est spécialiste en histoire du droit des affaires dans son propre pays, et en même temps chacune a des spécificités qui lui sont propres et qui les rendent indispensables au projet.

L’IRN PHEDRA permet donc un travail commun en présentiel sur les sources et la discussion collective. La mobilité des équipes est au cœur de la nouvelle méthodologie proposée.

Le site du IRN PHEDRA est : https://phedraproject.wordpress.com/

Programmes ANR achevés
REGINE - Recherche et Etudes sur le Genre et les Inégalités dans les Normes en Europe
ANR REGINE (Recherche et Etudes sur le Genre et les Inégalités dans les Normes en Europe)

Porté par Stéphanie Hennette-Vauchez Professeure, membre senior de l’Institut universitaire de France CTAD-Credof, (Université Paris Nanterre, CNRS), en partenariat avec le CRDP (Lille 2) de 2011 à 2014.

Dans un contexte caractérisé par la quasi-inexistence de travaux juridiques incorporant la perspective de genre en France, qui contraste avec le dynamisme de telles approches à l’étranger, le projet REGINE se propose d’ancrer la théorie féministe du droit dans le paysage de la recherche juridique française. Un projet de recherche académique qui se propose d’ancrer la théorie féministe du droit dans le paysage de la recherche juridique française et montrer que les inégalités de genre ne se donnent pas seulement à voir dans le droit mais sont également produites par le droit.
Trois axes structurent le projet REGINE :

Axe 1 (2011-2012) – Les inégalités de genre par le droit. Cet axe du projet est orienté vers les apports de la théorie féministe de genre dans les systèmes juridiques nationaux étrangers ainsi que ses conséquences sur le droit international et européen.

Axe 2 (2012 – 2013) – Inégalité de genre et droit français. Analyse systématique de branches du droit français depuis une perspective de genre. Cet axe du projet explore l’hypothèse selon laquelle les inégalités de genre ne sont pas seulement tolérées ou ignorées par le droit mais bel et bien véhiculées voire pérennisées par ce dernier.

Axe 3 (2013 – 2014) – Repenser le droit par le genre. Cet axe a pour objectif de reformuler certains concepts juridiques centraux en fonction des enjeux et des limites qu’une perspective de genre en aura fait apparaître.

Lien vers le site web dédié à l’ANR Régine

WJIE - La naissance des institutions judiciaires: des tribunaux de pêche aux régulateurs transnationaux
WJIE – La naissance des institutions judiciaires: des tribunaux de pêche aux régulateurs transnationaux

Projet porté par Florian Grisel commencé en septembre 2016, achevé en 2020

Le point de départ du projet est un argument fondé sur la théorie des jeux qui a exercé une influence profonde sur l’analyse des « ordres privés. » Selon cet argument, les communautés de taille réduite pourraient s’auto-réguler sans institution judiciaire. En effet, la dynamique des liens de réputation entre leurs membres suffirait à réguler ces communautés. Néanmoins, le développement de ces communautés au-delà d’une taille critique entraînerait l’apparition d’institutions judiciaires permettant de centraliser l’information relative à la réputation des membres de ces communautés. Or, si cette analyse explique l’émergence des institutions judiciaires, elle en limite le rôle à celui de « dépositaires » d’information.

Le présent projet vise à remettre en cause cet argument sur une base empirique. A cette fin, la communauté des pêcheurs de Marseille a été identifiée comme un groupe remplissant les conditions de la théorie des jeux (i.e., une communauté de taille réduite bénéficiant d’une information complète sur ses membres et d’un horizon infini d’interactions). La prédiction de la théorie des jeux, appliquée aux pêcheurs de Marseille, devrait donc être la suivante: ces pêcheurs devraient auto-réguler leur communauté sans avoir recours à une institution judiciaire. Mais l’étude des pêcheurs de Marseille contredit cette prédiction: une institution judiciaire — la Prud’homie de pêche — a réglé les litiges entre pêcheurs depuis le Moyen-Age (en matière de droits contractuels et de propriété).

L’exemple de la Prud’homie de pêche fournit donc le matériau empirique pour tester trois hypothèses: (i) contrairement à l’analyse présentée ci-dessus, les jeux de réputation ne suffisent pas toujours à organiser des communautés de taille réduite, même quand l’information y est facilement accessible, (ii) les institutions judiciaires peuvent émerger dans des communautés où l’information est accessible, indépendamment de la taille de ces dernières, et (iii) le rôle des institutions judiciaires dépasse celui de simples « dépositaires » d’information.

Le projet prêtera une attention particulière aux fondements de la théorie des jeux afin de tester ces hypothèses. La théorie des jeux présuppose la rationalité des individus. Or les individus — quel que soit leur degré de rationalité — se révèlent souvent incapables de surmonter leurs émotions et leurs préjugés. Cette observation s’applique particulièrement au cas des jeux répétés, au cours desquels la stratégie « coopération-réciprocité-pardon » (« tit for tat ») est susceptible de dégénérer en jeux de représailles. Dans ce contexte, les institutions judiciaires peuvent servir à contrôler les cycles de représailles dans des communautés humaines de taille variable.

Sur la base de ces observations, une distinction pourra être opérée entre un modèle de gouvernance « relationnelle » et un modèle de gouvernance « normative ». Le premier modèle (opérant sur la base de flux d’information) prévaudrait jusqu’à ce qu’une communauté atteigne une taille critique ou jusqu’à ce qu’une communauté stable (en terme de taille) soit confrontée à des chocs externes ou internes générant des cycles de vengeance. Le premier modèle céderait alors le pas au second modèle dans lequel les institutions fournissent une structure normative fondée sur des motifs et/ou des sanctions physiques (dont l’Etat est une expression aboutie) afin de mettre fin à ces cycles de vengeance.

Cette distinction sera appliquée au cas de la Prud’homie de pêche avant d’être transposée au niveau transnational, où des litiges comparables surgissent en matière de droits contractuels et de propriété. Certains réseaux transnationaux ont en effet développé leurs propres institutions judiciaires afin de résoudre ces litiges. La distinction entre ces deux modèles de gouvernance fournira donc un cadre analytique permettant d’identifier les circonstances dans lesquelles les institutions judiciaires sont nécessaires au règlement de ces litiges.

NEORETRO - Néo ou rétroconstitutionnalismes Lectures et relectures des mutations de la démocratie constitutionnelle 1990-2010)

ANR NEORETRO – Néo ou rétroconstitutionnalismes
Lectures et relectures des mutations de la démocratie constitutionnelle 1990-2010)

Porté par Olivier Cayla, directeur d’études à l’EHESS (CTAD, Université Paris Nanterre, CNRS, EHESS) de 2011 à 2013. 

À partir d’enquêtes ciblées sur les discours judiciaires et doctrinaux développés dans la période 1990-2010 dans plusieurs formes emblématiques de démocraties, le projet « néo- rétro- constitutionnalismes » propose une analyse approfondie (topographie et classification, combinaison des perspectives juridique, philosophique, sociologique et historique) des lectures et relectures de ces mutations constitutionnelles, avec l’objectif de déterminer s’il existe des tendances de fond qui conduiraient à ordonner ces modifications du droit de manière globale ou si la pluralité et la spécificité des expériences nationales l’emportent sur les apparences unitaires.
Le questionnement comportera également une réflexion relative à la pertinence d’une histoire constitutionnelle globale allant au-delà de la simple juxtaposition des histoires nationales. Ce projet, à travers des journées d’études, des colloques et deux ouvrages ambitieux, à donné lieu à l’élaboration d’une théorie critique des phénomènes constitutionnels et des idéologies qui les accompagnent.

Programmes Mission de recherche droit & justice achevés
Cartographie historique du droit

Cartographie historique du droit

Recherche débutée en 2020 portée par Jean-Louis Halpérin, Mate Paksy et Antonio Pele (chercheurs associés).

Les recherches scientifiques récentes semblent ouvrir l’histoire du droit de plus en plus nettement vers l’histoire comparée du droit et vers l’étude des circulations juridiques dans l’espace comme dans le temps. Pour la discipline, cette ouverture constitue un tournant épistémologique interne (élargissant les conceptions traditionnelles à l’étude de phénomènes régionaux ou globaux) et externe (l’inscrivant, avec retard, dans les pas des autres branches des sciences humaines et sociales).
Mais comment rendre compte de tels bouleversements de manière optimale et satisfaisante ? Grâce à des modalités d’investigation et d’analyse modernes et interdisciplinaires. Ici, c’est la cartographie qui est pensée et utilisée comme un instrument heuristique permettant d’inscrire la diachronie des phénomènes juridiques dans leur dimension géographique, d’envisager les liens entre l’histoire du droit et le mouvement droit et géographie, de visualiser les phénomènes de globalisation du droit. Sans précédent, ce projet original se présente sous forme d’un e-atlas mondial d’histoire du droit, composé de 32 séries de cartes de l’Antiquité au XXe siècle.

Quatre grands objectifs et hypothèses scientifiques complémentaires sont visés, consistant à cartographier :
1) les sources juridiques, au sens formel et positiviste ;
2) les phénomènes de diffusion de modèles juridiques ;
3) l’enseignement du droit et l’évolution des professions juridiques ;
4) les liens entre auteurs, courants doctrinaux, écoles de pensée (grâce à l’aide nouvelle de l’étude bibliométrique des statistiques des citations entre juristes).

Renforcer l'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte: l'apport du droit comparé et des normes du Conseil de l'Europe.

Mission de recherche droit & justice : Renforcer l’efficacité de la protection des lanceurs d’alerte: l’apport du droit comparé et des normes du Conseil de l’Europe.

Recherche débutée en 2016 – Achevée en 2018. Rapport en ligne sur halshs-03701718

La protection des lanceurs d’alerte est l’objet, depuis un peu moins d’une dizaine d’années, d’une multiplication, d’une diversification mais aussi d’une dispersion des normes et dispositifs. Pourtant, l’on ne dispose que de très peu de données relatives à l’efficacité de ces normes, qui est largement questionnée par la société civile. Cette recherche poursuit un double objectif :

Il s’agit, en premier lieu et par une double approche juridique et sociologique, de mettre en lumière l’existence d’obstacles à l’efficacité de la protection des lanceurs d’alerte.
il s’agit également, en second lieu, d’émettre des propositions afin de rendre plus efficace le système français d’encadrement du lancement d’alerte, et cela à l’aune des recommandations du Conseil de l’Europe en la matière. A partir d’une analyse des normes internes et internationales applicables, des décisions des juges des différents ordres juridictionnels, mais également à partir d’une collecte de statistiques concernant la protection des lanceurs d’alerte et d’entretiens avec des acteurs, l’équipe de recherche se propose dans un premier temps, de recenser de façon analytique les obstacles à l’efficacité des normes protégeant les lanceurs d’alerte. Il s’agit ici de repérer les incohérences, redondances et lacunes des normes protégeant les lanceurs d’alerte, mais également les phénomènes de résistance ou de non recours à ces normes protectrices.
Au-delà, ce sont les normes et bonnes pratiques énoncées par le Conseil de l’Europe ou présentes dans des ordres juridiques étrangers qui seront analysées par les chercheurs. Il s’agira ici d’identifier les normes et pratiques étrangères et européennes (Conseil de l’Europe) contribuant à l’efficacité du lancement d’alerte et d’étudier la manière dont leur mise en œuvre en droit interne pourrait réduire les incohérences, redondances et lacunes du système normatif français.

La traite négrière vue par l’École de Salamanque : propriété, liberté et commerce

La traite négrière vue par l’École de Salamanque : propriété, liberté et commerce

Recherche débutée en 2019 portée par Anne-Charlotte Martineau

Ce projet de recherche part d’une interrogation : qu’ont dit les membres de l’École de Salamanque à propos de la traite négrière transatlantique ? Tandis que leurs discussions sur la nature et le traitement des Indiens d’Amérique sont connues, leurs réflexions sur la réduction des Africains en esclavage sont largement négligées voire ignorées des juristes, y compris des juristes internationalistes. Pourtant, ces réflexions sont des plus intéressantes et méritent d’être analysées en détail, et ce, pour deux raisons.
D’une part, elles permettent de complexifier l’image encore hagiographique de l’École de Salamanque, dont les membres les plus éminents sont souvent considérés comme ayant posé les premiers jalons du droit international public. Il s’avère en effet que l’élaboration d’un droit des gens (ius gentium) régissant les relations entre États souverains s’est faite de paire avec l’élaboration de règles de droit privé visant à réglementer moralement les pratiques commerciales rendues possibles par la conquête du Nouveau-Monde.
C’est précisément dans ce système de droit privé contractuel que s’est inscrite la question de la légitimité de la traite négrière. D’autres part, les réflexions de la seconde Scolastique permettent de s’éloigner des vocabulaires des droits de l’homme et du trafic des êtres humains, aujourd’hui dominants pour « parler » de l’esclavage, et de s’interroger sur les implications découlant de l’inscription de l’esclavage dans une pensée essentiellement économique, et plus précisément dans une économie morale. En cela, les écrits de l’École de Salamanque offrent un autre regard sur les notions de propriété et de liberté, lesquelles sont employées dans les débats contemporains relatifs à l’illégalité de l’esclavage.

Autonomie des personnes âgées et mesures de protection juridique. Quelle place dans le champ médical pour la volonté des personnes âgées juridiquement protégées ?

Réflexion transdisciplinaire sur la place qu’il est possible de donner à la volonté du majeur placé sous Protection judiciaire (tutelle, curatelle, etc.).

Plus de dix ans après l’adoption de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection des majeurs, le constat est quasi-unanime de ce que l’autonomie et la volonté des majeurs protégés n’est pas toujours garantie à  hauteur de l’ambition que s’était donnée le législateur. Cela est particulièrement tangible dans le domaine de la protection la personne, et singulièrement pour ce qui concerne les décisions médicales. En fin de vie, comment doivent et comment peuvent s’articuler les demandes et déclarations de la personne protégée, ses directives anticipées antérieures éventuellement divergentes, l’appréciation du mandataire et la décision du médecin ? La question est éthique mais elle demande également un état des lieux sur les pratiques effectives. Par l’habilitation qu’elle donne au gouvernement afin d’harmoniser les différents corpus (Code civil, Code de la santé publique et Code de l’action sociale et des familles), la loi de programmation du 23 mars 2019 est porteuse d’une promesse de réforme. Notre projet a pour ambition de fournir des éléments juridiques à partir 1/ d’une enquête de terrain (entretiens avec des majeurs protégés, questionnaires adressés aux médecins, mandataires et magistrats) et 2/ d’une analyse transdisciplinaire (droit, sociologie, philosophie).

Publications issues de ce projet

Etchegaray C., Lesieur O., Bourdaire-Mignot C., Grundler T. « Accéder à la volonté des personnes âgées en fin de vie. Regards croisés sur les directives anticipées », Droit, Santé et Société, 2021/1 (N° 1), p. 66-76. URL : https://www.cairn.info/revue-droit-sante-et-societe-2021-1-page-66.htm